SALOMÉ DE FONTAINIEU


Salomé de Fontainieu est devenue peintre par des chemins détournés, après s’être consacrée avec succès au design, mais suivant une approche plasticienne, privilégiant ainsi l’inspiration plutôt que la contrainte fonctionnaliste. Moins qu’une volonté d’insoumission, il faut y voir l’expression d’un besoin fondamental, celui de créer en toute liberté.

Avant d’embrasser pleinement la peinture, l’artiste s’est dans un premier temps tournée vers le collage, un peu par hasard, puisque c’est à partir de chutes de plans de maquettes que l’idée lui en est venue. En effet, les éléments découpés tombés au sol, donnant lieu à des assemblages aléatoires de plans géométriques, ont été le point de départ d’une série de collages. L’artiste y joue de la superposition décalée des plans, étudie les contrastes naissant de l’opposition de leurs découpes courbes ou linéaires. Il en résulte des effets de relief qui retiennent la lumière dans le jeu des rapports de forme, tout en affirmant la matérialité de l’oeuvre. Ne cédant jamais à la séduction, Salomé de Fontainieu limite volontiers sa gamme chromatique au contraste efficace du noir et du blanc, ce qui n’exclut pas quelques incursions sobres de bleus, verts et ocres, ou bien encore des déclinaisons subtiles de beiges, bruns et gris.

La venue à la peinture de Salomé de Fontainieu marque une nouvelle étape dans son travail qui correspond à son installation dans le Sud de la France. Elle réalise tout d’abord des « Encres », dans un esprit très minimal. Seuls quelques traits fins noirs, exécutés à l’aide d’une plume métallique fixée à l’extrémité d’une baguette, sont tracés sur un fond blanc. Ils décrivent ainsi un réseau serré de lignes parallèles dont les diverses inflexions, horizontales ou verticales, selon les oeuvres, renvoient à l’acte de peindre. L’artiste, se laissant aller au plaisir de la surenchère, obtient par la superposition des traits une texture d’une densité presque tactile. Ces « Encres », qui s’imposent par leur qualité graphique et leur grande maîtrise, se distinguent par le caractère répétitif et obsessionnel des tracés linéaires. Par moments, Salomé de Fontainieu ressentant la nécessité de créer une respiration, ouvre une brèche et introduit ce qu’elle appelle des « gouttes ». Elles sont comme un accident se manifestant dans la mécanique du geste et incarnent parfois l’idée de chute. Dans certaines réalisations, les gouttes s’immiscent dans le tissu dense des lignes noires, générant par leur ponctuation rythmique une musique picturale ; dans d’autres, elles se prolongent sous forme de ruissellement comme chez les expressionnistes abstraits, et sont l’expression d’un relâchement dans un climat pictural de grande tension dynamique.

Progressivement, Salomé de Fontainieu a délaissé la pratique ascétique de l’encre noire pour celle plus apaisée de la peinture à l’huile. Appliquée sur la toile par de larges coups de brosses, la couleur se révèle dans la transparence généreuse du glacis, puis s’allège dans la continuité du geste pour gagner en fluidité au fur et à mesure de son étalement. Tout comme dans la série précédente des « Encres », la rhétorique gestuelle de l’artiste privilégie les verticales ou les horizontales. La technique raffinée et subtile du glacis, apprise dans l’atelier du restaurateur belge Van der Kelen, permet d’apporter de la densité à la matière, de la lumière à la couleur dont l’emploi souvent se limite à une teinte. On note une prédilection pour les verts, noirs ou bruns qui, se détachant du fond blanc cassé, créent une illusion d’espace sans effet de profondeur. De temps à autres, Salomé de Fontainieu opte pour des roses-beiges ou d’autres tonalités très délayées au point d’atteindre une forme de luminosité dans la transparence. A travers cette grande réduction des moyens plastiques, la puissance de l’application de la brosse, qui génère parfois des taches accidentelles d’encre parsemant la toile, demeure l’expression d’une grande force dans l’acte de peindre. Il y a ici un sentiment de libération d’énergie, que les plages de toiles laissées vierges contribuent à renforcer. Ce rapport entre le vide, l’espace, la gestualité permet à l’oeuvre de créer une ouverture chère à l’artiste.

Ne se laissant jamais enfermer dans un système, Salomé de Fontainieu s’est, parallèlement à ses créations picturales, consacrée à l’élaboration de « Constructions ». Dans leur élancement vertical, elles dégagent une impression d’équilibre instable avec un mécanisme de mise en mouvement. Ce dernier peut également être suggéré, comme avec les « Constructions Plumes » qui jouent de l’opposition poétique entre la résistance du bois et la délicatesse de la plume. A la fois fortes et fragiles, ces oeuvres, exécutées avec une grande économie de moyen, pénètrent l’espace avec dynamisme et tension. Les matériaux utilisés par l’artiste trahissent un refus d’emphase et de sophistication. Comme dans ses peintures, le ton est d’une élégance toute minimale, on ressent une grande force, mais qui ne bascule jamais dans l’excès.

En 2020, Salomé réalise une série d’œuvres sur papier en s’isolant dans un atelier situé en pleine nature, à Bibemus, au pied de la montagne Sainte Victoire. Ces œuvres, privilégiant dans leur mode de réalisation la spontanéité, transmettent un certain sentiment de la nature, telle que l’artiste la ressent de tout son corps. La feuille de papier est recouverte d’éclaboussures de peintures qui se lient entre elles, en créant des moments de saturation et de respiration.

Domitille d’Orgeval